Intervention de Thomas Lamailloux (DDTM)

Mieux comprendre l’accès à l’eau dans l’Aude

Lors de l'atelier TALANOA du 16 novembre 2023, Thomas Lamailloux (DDTM Aude) est intervenu pour faire un point avec les participants sur les conditions d'accès à la ressource en eau sur le département Audois.

La présentation est structurée autour de 3 points :

  • Accès à l’eau
  • Restrictions d’usages
  • Perspectives, vers un OUGC

Régime applicable pour l’accès à l’eau

L’'accès à l'eau est réglementé par la loi sur l'eau (le code de l'environnement sur l'eau), qu'elle soit superficielle ou souterraine. En fonction du type de masse d'eau il existe un régime de formalités préalable qui s'applique à l’appui de seuils nationaux qui ont été fixés par le législateur : un régime dit simplifié de déclaration et un régime d'autorisation qui est plus lourd et plus complexe avec des délais moyens d'instruction d’environ 9 mois.  Au-delà de ce cadre réglementaire, les projets doivent justifier d’une absence d’incidences sur la ressource, le milieu. Le code de l’environnement fixe en effet des impératifs en matière de préservation des masses d'eau et de garantie des usages prioritaires (AEP, les milieux, la sécurité incendie, etc.).

L’accès à l'eau est certes lié à un régime de formalités préalables mais il dépend surtout à (i) d’une réalité hydrologique qui renvoie à l'état des masses d'eau. L’adéquation entre ressource (capacité du milieu) et (ii) usages est donc le critère prépondérant.

A l’échelle du bassin versant de l’Aude, le secteur amont bénéficie d’excédents fléchés dans le cadre du PGRE au profit de secteur médian et aval (toutefois des usages demeurent possibles sous réserve d’une justification des incidences sur le milieu). La partie du bassin versant de l’Aude quant à elle située à l’aval de Carcassonne sur le fleuve Aude et ses affluents est identifiée comme déficitaire. Situation qui se traduit par un zonage et une réglementation spécifique qualifiée de « zone(s) de répartition des eaux » (ZRE). Cette situation de déficit atteste d’une non adéquation entre usages et ressources. Sur ce secteur « ZRE » les nouveaux prélèvements à l’étiage ne sont pas possibles (puisque de nature à accroître les déficits).

Les nouveaux projets d'accès à l'eau et d'irrigation agricole sont donc fortement contraints (sauf rare exception).

Dans ce contexte et face aux effets du changement climatique seule les approches « agiles » peuvent permettre d’accompagner l’accès à l’eau. Les approches collectives paraissent ainsi souhaitable, elles peuvent être de nature à apporter une forme de réponse à la situation réglementaire et hydrologique précédemment mentionnée.

Une évolution systémique des modèles, des matrices existantes paraît toutefois nécessaire pour l’avenir des territoires concernés.

Dans l’attente d’une révision générale des autorisations de prélèvement (aux fins de mise en adéquation avec le volume prélevable), dans le département de l’Aude les prélèvements autorisés sont quasi-exclusivement pluriannuels.

Mesures de gestion en situation de crise (restrictions d'usage)

Chaque année le département de l'Aude, connaît des restrictions temporaires des usages de l’eau. Ces restrictions sont prises par le préfet à l’appui d'une situation hydrologique. Ces mesures constituent une réponse à une situation de gestion de crise. Celles-ci sont mises en place pour assurer le respect des équilibres naturels et les usages prioritaires de l’eau (les usages de la société civile sont priorisés par rapport à l’agriculture), et ainsi anticiper des situations de pénurie d’eaux.

Les restrictions se traduisent par plusieurs niveaux de restrictions liés à l’état de la ressource, de l’hydrologie. Le bassin versant de l’Aude est système hydrologique complexe qui connaît une réelle inertie. La gestion de crise nécessite donc une forme d’anticipation, il ne faut donc pas attendre d'attendre des niveaux extrêmes pour réagir. En situation de crise il est fait recours à plusieurs niveaux de restrictions : vigilance, alerte, alerte renforcée, crise.

Ces mesures de restrictions sont prises progressivement, sauf cas particuliers nécessitant une action plus soudaine et différenciées. Les restrictions générales peuvent être de 30% de réduction des prélèvements en situation d’alerte, de 50% en situation d’alerte renforcée, et enfin l’interdiction totale lorsque l’état de crise est déclaré sous la décision du préfet.

Aujourd’hui dans l’Aude, environ 80% des prélèvements sont individuels, ce qui signifie que chaque acteur dispose d’une autorisation de prélever qui mobilise la ressource en eau de manière isolée et souvent non coordonnée. Cela présente des limites. Relevons toutefois que ces certaines autorisations sont accompagnées par des ASA (ou Unions d’ASA) qui permettent ainsi de s'inscrire dans forme de gestion collective.

Pistes d'évolution

Le système d’OUGC (Organismes Uniques de Gestion Collective) est à encourager pour la gestion collective de l’eau pour la profession agricole (ne traite pas des autres usages) à l’échelle d’un bassin versant. C'est une forme de gestion souhaitée par l’État et pratiquée dans d’autres bassins de France. Cette planification de l’irrigation a pour objectif de limiter au maximum et de s’affranchir des restrictions (ou du moins les limiter au maximum).

Sur le bassin de l’Aude médiane et aval, deux Unions d’ASA sont implantées et gèrent des autorisations de prélèvements adossées à des îlots fonciers agricoles. Les gestions précédemment mentionnées présentent moins d’agilité que les gestions sous OUGC.

Les systèmes dits « d’OUGC » interviennent à l’échelle d’une d’entité hydrologique cohérente. Ils gèrent une autorisation unique de prélèvement (AUP) et répartissent ainsi un volume qualifié de prélevable (volume correspondant à l’équilibre besoin-ressource).

Suite à cette présentation, une série de questions ont été posées à l’intervenant par les participants :

Peut-on imposer un OUGC ? Qui sont les membres ?

L’OUGC ne peut être imposé. L’État encourage le recours à ce type de structuration au travers d’appels à projet auprès des différentes collectivités (Chambre d’agricultrice, conseil départemental, etc.) susceptibles de porter et déployer ce type de gestion.

L’OUGC concerne tous les préleveurs agricoles et ceux qui souhaitent avoir un accès futur à l'irrigation. Cette gestion ambitionne de satisfaire le respect des différents usages agricoles dans un contexte de changement climatique, de gérer avec rationalité et solidarité ce volume prélevable tout en respectant les débits objectif d’étiage (DOE).

Les projets de création de ressources (retenues d'eau) qui seraient créés pourraient intégrer l’OUGC.

La mise en place d’un OUGC ne permet plus l’existence de prélèvements agricoles individuels. Cela sous-entend que les droits d’eau individuels agricoles existants avant la mise en place de l’OUGC seront abrogées au profit d’une gestion collective à l’échelle du territoire de compétence de l’OUGC.

Y a-t-il des exemples d’OUGC en France ?

Quelques exemples sont présents dans les départements voisins (retrouvez la carte en ligne):

  • OUGC Vallée de l’Ariège (2015), sur le secteur Adour-Garonne (Ariège, la Lèze et l’Hers-vif) réunissant les irrigants du secteur de belles pêche (grande culture).
  • OUGC Saint Martory et de l’Hers Mort / Girou (à l'aval de Ganguise)
  • OUGC du Sors dans le Tarn (comprend des communes de l’Aude)
     

Y a-t-il une connaissance de la ressource à la base de la décision ?

Des études ont permis de caractériser l'état des masses d'eau à l'échelle du bassin versant, notamment la situation des déficits. Comme toute étude basée sur une modélisation, celle-ci peut présenter des limites ou facteurs limitants source d’incertitudes. Pour autant, ces démarches permettent de donner une tendance à l’échelle du bassin versant de l’Aude. La situation déficitaire est bien avérée.

Sur la connaissance des prélèvements, il y a toutefois un facteur limitant : les ouvrages individuels non déclarés ne sont pas comptabilisés. Des contrôles sont régulièrement effectués pour améliorer cette connaissance.

La connaissance hydrologique est bien avancée grâce à des études finalisées ou en cours. Les tendances hydrologiques climatiques sont connues, renseignés à l’appui d’une métrologie départementale qui enregistre parfois jusqu’à plus de 50 ans de chroniques. Ces données, reliées à l’évolution météorologique observée, permettent de percevoir une baisse de l'hydrologie.

Y a-t-il une résistance de la part des agriculteurs à rentrer dans une gestion collective de la ressource ?

Il existe une réelle réticence de la profession agricole à tendre vers ce modèle collectif. Le « repli sur soi » est observé il peut paraître plus aisé de conserver et d’exploiter des autorisations individuelles que de tendre vers une gestion, un système plus ambitieux qui certes coûtera à l'individu mais qui apportera plus au collectif. Cette position, forme de repli sur soi, rend difficile aujourd’hui l’installation des jeunes agriculteurs, ce qui peut paraître comme paradoxal dans un contexte de départs à la retraite. Sujet qui renvoi à la question de la transmission des exploitations.

Il existe une certaine forme de tension sur les droits. Lors d’une reprise, d’un départ à la retraite, une exploitation qui possède un droit d'eau va plus facilement trouver un repreneur, contrairement à une exploitation n’en disposant pas. Cette situation est compliquée pour les jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer en ayant réfléchi à un modèle résilient basé sur de la diversification agricole nécessitant un accès à l'eau.

C’est en ce sens qu’une gestion collective et solidaire de l'eau peut permettre d'apporter des réponses.

Date de création : 07 décembre 2023 | Rédaction : Alexandre ALIX